Editorial Par Michel Guilloux
Le discours de Grenoble du chef de l’État, en juillet dernier, fut une véritable déclaration de guerre sociale face à la contestation montante de la casse de la retraite. Un grave fait divers survenu dans la même ville, deux ans plus tôt, servit à sonner une autre charge, contre l’humain cette fois. Lors d’une visite à l’hôpital psychiatrique d’Antony, dans la foulée, derrière le miel des mots servis aux personnels et médecins, le président de la République lançait : « Il va falloir faire évoluer une partie de l’hôpital psychiatrique pour tenir compte de cette trilogie : la prison, la rue, l’hôpital, et trouver le bon équilibre et le bon compromis. » Le bon équilibre et le bon compromis aboutissent à un projet de loi mené avec une obstination rare, dont l’objet serait d’aménager les procédures de l’internement d’office, quitte à sortir des bornes de la loi fondamentale, comme l’a fait valoir le Conseil constitutionnel.
La «trilogie» élyséenne peut se décliner en autant de constats de régression qui vont bien au-delà. La prison ? Grâce à un « tout-sécuritaire » calqué sur le désastreux modèle américain, elle regorge à la fois de gens qui n’en relèvent pas, et son surpeuplement est cause de dérèglement psychique supplémentaire. L’hôpital ? Le sort réservé par la loi Bachelot n’épargne pas le parent pauvre qu’est le domaine psychiatrique : fermetures de dizaines de milliers de lits, invasion des procédures normatives – pour les patients comme pour les professionnels de santé ; mais il devrait multiplier en son sein les structures de type carcéral. La rue ? Là où le président rêve de camisole chimique et de « géolocalisation » par bracelets, on y trouve 60 % des personnes sans domicile fixe souffrant de troubles psychiques ou du comportement.
Stigmatiser des populations, jusqu’aux plus vulnérables, jouer de la peur, de l’autre, de la folie ou de la mort, pour mieux diviser, telle est la stratégie de celui qui, lors d’un meeting de novembre 2006, parla de « l’homme qui n’est pas une marchandise comme les autres ». Voilà qui éclaire la volonté d’user, jusqu’à la corde, l’humain au travail, entièrement soumis à des critères de rentabilité et des modes d’organisation féroces, eux-mêmes source de souffrance inouïe, jusqu’à la perte de dignité et de sens que signifie la disparition de l’emploi. Interchangeable, jetable, corvéable à merci, ou à laisser sous les ponts ou à traquer, et enfermer, entre des murs ou dans une camisole chimique. La folie est du côté d’un certain ordre social qui, à force de nier l’être humain comme sujet, et plus encore lorsqu’il est en souffrance, aboutit à un processus de dé-civilisation.
Voilà bien des années, le psychiatre communiste Lucien Bonnafé estimait : « La résistance au fascisme, aux doctrines et aux pratiques de chasse à l’homme, et celle qui vise l’inhumanité des modes de connaissance et de pratiques dans laquelle cette société a prétendu régenter l’exclusion de la folie sont de même trempe. » Face au projet psychiatrique de l’hôte de l’Élysée, un de ses confrères, le docteur Michaël Guyader, accusa ce dernier d’avoir « sous l’apparence du discours d’ordre, contribué à créer un désordre majeur, portant ainsi atteinte à la cohésion nationale en désignant, à ceux qui ne demandent que cela, des boucs émissaires, dont mes années de pratique m’ont montré que ,justement, ils ne pouvaient pas se défendre. Face à votre violence, il ne reste, chacun à sa place, et particulièrement dans mon métier, qu’à résister autant que possible ». L’indignation, d’individuelle, devient torrent, d’Appel des 39 en collectif Mais c’est un homme. Il est des choses qui ne passent plus.
La «trilogie» élyséenne peut se décliner en autant de constats de régression qui vont bien au-delà. La prison ? Grâce à un « tout-sécuritaire » calqué sur le désastreux modèle américain, elle regorge à la fois de gens qui n’en relèvent pas, et son surpeuplement est cause de dérèglement psychique supplémentaire. L’hôpital ? Le sort réservé par la loi Bachelot n’épargne pas le parent pauvre qu’est le domaine psychiatrique : fermetures de dizaines de milliers de lits, invasion des procédures normatives – pour les patients comme pour les professionnels de santé ; mais il devrait multiplier en son sein les structures de type carcéral. La rue ? Là où le président rêve de camisole chimique et de « géolocalisation » par bracelets, on y trouve 60 % des personnes sans domicile fixe souffrant de troubles psychiques ou du comportement.
Stigmatiser des populations, jusqu’aux plus vulnérables, jouer de la peur, de l’autre, de la folie ou de la mort, pour mieux diviser, telle est la stratégie de celui qui, lors d’un meeting de novembre 2006, parla de « l’homme qui n’est pas une marchandise comme les autres ». Voilà qui éclaire la volonté d’user, jusqu’à la corde, l’humain au travail, entièrement soumis à des critères de rentabilité et des modes d’organisation féroces, eux-mêmes source de souffrance inouïe, jusqu’à la perte de dignité et de sens que signifie la disparition de l’emploi. Interchangeable, jetable, corvéable à merci, ou à laisser sous les ponts ou à traquer, et enfermer, entre des murs ou dans une camisole chimique. La folie est du côté d’un certain ordre social qui, à force de nier l’être humain comme sujet, et plus encore lorsqu’il est en souffrance, aboutit à un processus de dé-civilisation.
Voilà bien des années, le psychiatre communiste Lucien Bonnafé estimait : « La résistance au fascisme, aux doctrines et aux pratiques de chasse à l’homme, et celle qui vise l’inhumanité des modes de connaissance et de pratiques dans laquelle cette société a prétendu régenter l’exclusion de la folie sont de même trempe. » Face au projet psychiatrique de l’hôte de l’Élysée, un de ses confrères, le docteur Michaël Guyader, accusa ce dernier d’avoir « sous l’apparence du discours d’ordre, contribué à créer un désordre majeur, portant ainsi atteinte à la cohésion nationale en désignant, à ceux qui ne demandent que cela, des boucs émissaires, dont mes années de pratique m’ont montré que ,justement, ils ne pouvaient pas se défendre. Face à votre violence, il ne reste, chacun à sa place, et particulièrement dans mon métier, qu’à résister autant que possible ». L’indignation, d’individuelle, devient torrent, d’Appel des 39 en collectif Mais c’est un homme. Il est des choses qui ne passent plus.
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